Au fond de la plaine catalane, entre entrepôts modernistes et façades de briques rouges, trône une bâtisse où l’on respire encore la colle d’amidon : Tejidos 48. La maison naît en 1973 sous l’impulsion de Jaime González Plaza, qui fabrique d’abord « pour les autres ». En 1980, virage : les fils sortent désormais sous leur propre blason, placés dans des valises d’échantillons que les fils du fondateur – Jordi et Cristian – trimballent aujourd’hui aux quatre pièces d’Espagne. Une saga de métier, d’orgueil textile et de soleil catalan.
À l’intérieur, les métiers Raschel ronronnent comme d’antiques locomotives. Trois familles de collections dictent le rythme : la camisería (popelines, viellas, flammés coton 100 %), la lanería señora pour les lainages fluides ou draps féminins, et l’ infantil , royaume des carreaux pastel et velours tout-terrain destiné aux pantalons des cours de récré. Chaque saison, un nuancier neuf : faux-unis à la française, écossais revisités, flanelles perchadas d’un toucher pêche qui feraient pâlir un mouflon. Le tout présenté dans des bookets d’un soin quasi-couture – « la façon catalane de respecter la matière », glisse Cristian.
L’adresse se veut agile : entrepôt show-room, stock tournant, minimums flexibles. Les marques urbaines de chemiserie chic trouvent une popeline stretch, les tailleurs enfant s’emparent d’un sergé camel-marine, les créatrices douteront un instant de croire que ce drap laineux sorte d’une usine entourée de palmiers. Chaque nouveau coloris file sur navette sous les arches de fonte, puis un bain de teinture basse consommation l’image – la maison s’enorgueillit d’avoir réduit de moitié son eau de rinçage pendant la dernière décennie.
Terrassa oblige, l’âme industrielle transpire jusque dans les livraisons : camionnette siglée « 48 » file vers Madrid, Valence, Porto. Les grandes foires – Première Vision, Munich Fabric Start – voient passer leurs popelines fantaisie sous la loupe des bureaux de style. La petite équipe répond en 24 h : métrage d’essai, compo revisitée, ou ce grattage particulier qui donne au velours enfant un côté doudou-lavable.
Dans cette zone industrielle où les cigales rivalisent avec les klaxons, Tejidos 48 maintient donc la promesse catalane : tisser simple, livrer vite, surprendre sans esbroufe. On quitte la rue Hércules avec un rouleau sous le bras, le sentiment d’avoir serré la main d’une tradition bien vivante – et l’odeur, tenace, du coton frais calandré.
Michel Timsit
