À Montemurlo, les herbes sèches du Val di Bisenzio frémissent comme un là-bas lointain ; sous la halle de brique, les métiers répètent l’arpège de 1958, année où Lorenzo Pierozzi et sa femme Graziella dressèrent leurs premiers cadres. Plus de soixante ans plus tard, la famille ourdit toujours l’étoffe, mêlant tweeds poivrés, jacquards lunaires et cardés recyclés, tandis qu’au-dessus des sheds les collines de Prato comptent les nuages comme des écheveaux.


La trame prend racine
Il faut d’abord humer l’odeur d’huile qui colle aux murs : c’est là que l’histoire s’obstine depuis la poignée de métiers manuels alignés en 1958 . En franchissant la porte galvanisée de Via Luigi Galvani, je surprends la cadence cardée ; trente employés, trois générations, mille anecdotes. On raconte que l’aïeul reconnaissait la torsion d’un fil les yeux fermés ; aujourd’hui, les bobines RFID épellent la traçabilité, filature après filature, jusqu’aux brebis de la Maremme . Le district de Prato, géant textile aux huit mille entreprises, ronronne tout autour ; mais Pierozzi garde son accent d’atelier familial, comme un ténor qui préfère la scène du village aux ors de La Scala.
Les rouleaux, atlas d’une Toscane mouvante
Sur les rayonnages, plus de trois cents références Noos se succèdent : tweeds mouchetés, pizzi lumineux, peaux végans, tandis que la nouvelle collection glisse un fil Lurex dans un velours pour évoquer les nuits de Livourne . Un jacquard olive rappelle les façades chlorées du Centro Pecci ; un bouclé brun évoque le Tabarro de Visconti. Les designers scandinaves réclament du chevron nuage, les studios parisiens préfèrent la flanelle réglisse, et un label coréen a récemment commandé un faux-uni graphite pour une capsule « Neo-Hanbok ». À chaque requête, Caterina, cheffe du sampling, murmure un « aspetta » avant de faire naître, quarante-huit heures plus tard, l’échantillon Pantone-parfait.


Savoir-faire et conscience se mêlent
L’entreprise collecte l’eau de pluie, alimente ses métiers via des toitures photovoltaïques et expédie ses rouleaux dans des housses réutilisables . Membre du consortium Cardato Riciclato Pratese, elle certifie la laine régénérée et détourne trois cent mille kilos de déchets annuels . Lorsque je caresse un tweed cappuccino, je sens la reprise infime d’un ancien manteau qui, redevenu fibre, repart pour un nouveau tour de piste. Et l’on songe, comme dans Le Jardin des Finzi-Contini, que la mémoire toscane choisit parfois la maille pour parler de futur.
Un monde orbital
Munich Fabric Start, Milano Unica, Première Vision Paris : le stand Pierozzi déroule chaque saison l’assortiment de ses textures, attrapant au vol les directeurs artistiques de Séoul, les costumiers de Cinecittà, les créateurs brésiliens venus chasser le twill sable. Le textile devient carte routière : entre un macchiato au bar Gori de Prato et un risotto aux artichauts chez Da Ciotto, je mesure l’itinéraire secret d’une étoffe qui, demain, doublera la poche d’un blazer à Bogotá.
Quand le soir tombe, les lampes sodium révèlent sur les briques un grain d’ocre semblable à celui des toiles de Morandi ; un souffle chaud remonte des moteurs inertes. J’emporte un coupon indigo, mince talisman : il bruisse dans ma poche comme la promesse d’une Toscane qui, patiemment, coud le passé au lendemain.
Michael Timsit