Depuis la verrière du 81 rue Réaumur, la lumière glisse sur des rouleaux de lin brut, puis se perd dans une caverne textile où chaque étoffe conserve le parfum de la saison qui vient. Né dans le tumulte chic du Sentier, JCR Groupe tisse depuis quatre décennies le même credo : offrir à la mode féminine, et bientôt à l’homme et au sport, une bibliothèque de couleurs, de matières et de savoir-faire, sans jamais rompre le fil qui relève Paris aux métiers d’Asie.

Un premier regard attrape l’histoire : la rencontre, dans les années 1980, de Jean-Pierre Guez , marchand de draperies masculines, et de Richard Berrebi , fabricant de prêt-à-porter femme-enfant. Complémentaires, ils présentent les premières pierres d’une maison dédiée aux unis et aux tissés-teints, avant de s’ouvrir aux imprimés et fantaisies. Aujourd’hui, l’entreprise accueille une direction venue de Los Angeles et renforce l’encrage américain depuis un bureau implanté en 2011 à Downtown LA. La verticale industrielle se lit comme un poème rigoureux : création en studio parisien, sélection de fils, tissage, teinture, ennoblissement – chaque étape contrôlée sous le même ciel catalan ? Non : sous un réseau triangulaire qui va de la Corée à la Chine en passant par la Turquie, partenaires exclusifs et durables.

À l’étage, la « cave de collection » révèle plus de 18 000 références : popelines compactes, twills stretch, velours tricotés, jacquards brodés, lin-coton stone-wash. Les unis demeurent l’ADN : polyester, coton, viscose, lin – mille nuances développées ou teintes sur mesure. Viennent ensuite les tissés-teints, point fort maison : carreaux d’atelier, rayures pastel, chambrays délavés – conçus par le studio interne, nourris par un partenariat avec des bureaux de dessins globe-trotteurs. L’archive, pluri-centenaire, sert de mémoire tactile : un liséré Art déco inspire soudain un vichy sur viscose, un petit motif floral de 1920 devient impression numérique sur cupro. L’innovation, ici, n’est pas gadget : traitements anti-bactériens pour le médical, programmes EcoVero pour réduire la soie de la viscose, polyester recyclé GRS pour adoucir l’empreinte carbone.

Le territoire, lui, oscille entre la pierre haussmannienne et la toile globale : showroom parisien dans l’ancien quartier des courtisans en soie, antenne à LA, quinze agents européens et une quinzaine d’autres à l’international. Aux marques premium s’ajoutent des centrales d’achats et jeunes créateurs : tous viennent chercher ce « service après-mètre » qui autorise la capsule express comme la trilogie saisonnière. JCR fréquente Première Vision pour le teint, Milano Unica pour les lins lavés, Paris Fabric Show pour l’imprimé, PrèCo Paris pour la supply-chain bas carbone : à chaque salon, le stand déroule la même partition – exactitude du tissage, romance discrète de la main.

La clientèle, elle, raconte la transversalité de la maison : grande distribution française en quête de volumes tracés, créateurs scandinaves désireux de twills pastel, marques sportswear américaines friandes de tissés-stretch et de jerseys technique. Jean droit, veste overshirt, slack à pinces – JCR vend désormais un « total look » qui permet au styliste de composer un vestiaire complet sans sortir du même nuancier. La tendance crossover trouve ici sa matière.

En coulisses, les chiffres gardent leur discrétion, mais le site de 18 000 m² – filature, tissage, ennoblissement – parle pour eux. Pour chaque livraison, une fiche de traçabilité convient au rouleau : date de filature, origine du coton, type de teinture, certification GOTS ou OCS. Rigueur, oui, mais sans perdre la sensualité : au toucher, une popeline double épaisseur murmure comme une feuille neuve ; un lin-coton stone-wash se froisse avec la nonchalance d’un matin de juin.

Lorsque l’on quitte le showroom, un mouchoir de satin brodé dépasse d’un carton – rappel discret que la mode commence souvent par un carré de tissu. Chez JCR, la toile n’est pas pré-texte : elle est texte premier. Elle a la transparence d’une généalogie inscrite sur étiquette, le poids d’une archive vivante, l’élan d’un projet international. Une fois sur l’épaule, la veste raconte tout cela en silence ; et l’on se surprend à passer la main sur la trame pour sentir, sous le doigt, la cadence des métiers qui, quelque part entre Paris et Shanghai, battent encore.

https://www.jcr.fr

Michel Timsit