À Brusimpiano, au bord du lac de Lugano, l’air envoie le pin et la vapeur de laine. Depuis 1922, le moulin E. Thomas y tisse des étoffes qui font chavirer tailleurs londoniens et maisons de couture parisiennes : fresques de laine d’Australie, éclats de soie chinoise, chuchotements de cachemire mongol. Quatre générations plus tard, la famille Thomas illustre la devise locale : fare con cura – faire en prenant soin. Du filage à la pièce finie, tout reste enfermé dans un périmètre de quelques centaines de mètres, comme pour retenir la poussière d’histoire.


Les collections se lisent comme une carte des sensations. On effleure un sergé « Superfine Wool » : il chante la fraîcheur d’un soir d’automne. Plus longe, un voile « Soie & Cachemire » mêle éclat et caresse ; on imagine déjà la doublure d’un smoking d’opéra. Le coin laboratoire expose des mélanges inattendus : laine-lin pour les étés chauds, mohair-soie qui scintille sans gratter, flanelle stretch où un soupçon d’élasthanne disparaît dans le tissage. Chaque rouleau raconte un tempérament : citadin, flâneur, explorateur.
La recette tient à trois principes. Sélection radicale : en Australie, les acheteurs E. Thomas ne jurent que par des lots micron 17,5 ou moins. Tissage à tempo lent : métiers réglés en dessous de leur vitesse commerciale pour laisser au fil le temps de s’installer. Finitions à l’eau de source : les nappes du Monte Generoso, pauvres en calcaire, préservent la douceur des fibres. Les Italiens appellent cela mano nobile : cette main qui revient se poser sur le tissu presque malgré soi.
Le site joue aussi la carte verte : panneaux photovoltaïques sur les hangars, chaudières biomasse, recyclage continu des bains de teinture. La page « Sostenibilità » liste neutralité carbone d’ici 2030, traçabilité des fibres nobles et partenariats avec les bergers de Mongolie pour protéger les pâturages. Le luxe n’excuse plus rien ; il s’exige responsable.


E. Thomas ne se contente pas d’envoyer des rouleaux : la maison accueille les stylistes dans un showroom panoramique où la table d’archives côtoie un écran 3D pour simuler tombés et reflets. Un fil d’intrigue ? Échantillon expédié sous quarante-huit heures, coloris ajusté en quinze jours. Le service fait la différence : de Zegna à Thom Browne, on aime pouvoir chuchoter une nuance de pomme verte ou un stretch plus discret et la voir surgir quelques semaines plus tard.
Et si l’on pousse jusqu’à Brusimpiano ? On entendra battement régulier des métiers, tintement des navettes, soupir de la laine qui se étend. Sur une table, un coupon de soie-lin irisé reflète la montagne. Le chef d’atelier glisse : « Nos tissus doivent parler de la nature sans jamais la copier ». Pari tenu : on repart avec l’impression d’avoir serré la main à un paysage.
Michel Timsit

