À Guiseley, dans le Yorkshire profond, là où les toits s’égouttent lentement sur les pierres moussues, il est une manufacture textile qui ne déroge pas, qui ne cède pas, qui continue de tisser le temps comme on perpétue une promesse. Abraham Moon & Sons, fondée en 1837, est l’une des dernières filatures verticales du Royaume-Uni.

Ici, la laine n’est pas qu’une matière – c’est une tradition, un cycle, une alchimie. Chaque étape, de la teinture au finissage, est réalisée sur le même site. Rien ne sort sans avoir été éprouvé. Des flanelles, des tweeds, des draps de mérinos tissés pour durer, sans frime, sans excès. Des tissus pour l’habillement masculin et féminin, mais aussi pour les intérieurs, les plaids, les foulards. Le luxe, ici, c’est la régularité, la constance, ce classicisme sourd qu’on reconnaît au toucher, dans le tombé, dans le silence d’un vestiaire bien fait. À Guiseley, on ne court pas après les tendances. On les laisse passer, comme les trains de Leeds, pendant qu’on affine une armure, un fil, une nuance.
La maison fournit aussi bien Paul Smith que Ralph Lauren, Burberry ou Drake’s, et ses tissus se retrouvent dans les vitrines de Jermyn Street comme dans les showrooms de Séoul ou de Tokyo. En février 2025, un simple chapeau porté par Billie Eilish aux Grammy Awards propulse son tweed en tête des recherches Google. Car même si Moon ne revendique rien, il est partout. À PRECO Paris, la maison présentait ses collections les plus récentes : draps bruts, flanelles claires, motifs discrets, tweeds aux reflets rustiques. Les visiteurs venaient pour toucher, pour replier, pour imaginer. Moon expose aussi à The London Textile Fair, à Première Vision Paris et à Munich Fabric Start, sans slogan ni effet d’annonce, juste avec la confiance lente de ceux qui savent que le vêtement commence toujours dans le fil. La laine provient de fermes certifiées, sans mulesing. L’énergie utilisée est renouvelable. La production, humaine, tracée, responsable. En 2024, Moon lançait une collection spéciale 100 % British Wool, du champ à la coupe, tissée dans une logique de souveraineté textile douce, mais assumée.
Car rien n’est figé chez Moon. Les archives sont vivantes, les coloris repensés, les armures enrichies. À Guiseley, l’histoire ne pèse pas, elle soutient. La maison ne crie pas. Elle compose. Elle fait partie de ces quelques institutions anglaises où l’on ne cherche pas à plaire, mais à faire juste. Travailler pour durer. Penser pour transmettre. Créer non pour séduire, mais pour habiller. Il faut toucher le tissu pour comprendre. Le plier, le lisser, écouter le frottement sur le bois ou la peau. La laine de Moon n’a pas besoin d’argument. Elle a son propre langage – dense, simple, fidèle – celui des maisons qui ont fait de la patience un art.



Michael Timsit